16/07/2009
Entre décret, humanité et progrès
[Extrait principal d'un courriel envoyé le 15 juillet 2009, adressé principalement à l'asbl ELEVeS et au collectif DécretLotto, suite à une réponse à mon précédent message Mes réactions par rapport au communiqué de presse et suite à la "réunion de crise 2" du 7 juillet 2009]
[...]
S'il vous plait, arrêtez d'opposer humanité et progrès (utilisation d'outils modernes). On peut bien sûr considérer que l'Humanité perd son âme dans les avancées techniques, que :
- le lavoir sur la place du village est plus social que la machine à laver
- les travaux manuels aux champs sont plus fraternels que l'industrialisation agricole
- les supermarchés sont moins chaleureux que les marchés
- les déplacements à pieds, à cheval ou à vélo sont plus conviviaux que la voiture
- les soirées à la bougie, au coin du feu, à jouer aux cartes ou écouter les contes des anciens sont plus humaines que les programmes TV, l'Internet et FaceBook
- les orchestres sous le kiosque sont plus sympathiques que les lecteurs MP3
- la solidarité intra-familiale est moins impersonnelle que la sécurité sociale
- la médecine de pointe actuelle est moins humaine que les guérisseurs
- ...
Effectivement le progrès n'apporte pas que de bonnes choses, et est également systématiquement détourné par certains dès que possible, ... mais faut-il tout rejeter pour autant ? Au delà de, mettons, FaceBook et les lecteurs MP3, de quoi êtes vous prêt(e) à vous passer ?
Pas plus qu'on ne peut revenir au Moyen-Age, je ne pense pas qu'on reviendra à "l'école de papa" avec des inscriptions à l'ancienne. Les décrets sont passés par là et ont fait beaucoup de dégâts (particulièrement le décret Lotto). Comme le soulignait madame de Groote, les décrets ont, dans une certaine mesure, fonctionné, ouvrant la porte des écoles plus réputées à un plus grand nombre, on peut s'en réjouir ou s'en lamenter. Effet pervers, le classement des écoles s'est mesuré à la longueur des files, à la longueur des listes d'attente. Média et mouvement populaire aidant, plus la liste est longue, plus il faut s'y inscrire et la gonfler. Bref, la donne a irrémédiablement changé.
Alors plutôt que de rejeter en bloc un système qui soulagerait les directions d'une charge administrative, qui permettrait une meilleure optimisation des inscriptions, une plus grande satisfaction globale, ne serait-il plus opportun collaborer à son élaboration, pour y défendre vos valeurs, pour un système qui préserve le caractère humain du processus ?
A mon avis, vous avez deux stratégies possibles:
1. Mettre toute votre énergie contre toute forme d'application centrale, au risque d'échouer et de vous voir imposer une solution construite sans vous, de risquer le pire : une centralisation complètement inhumaine.
2. Participer à la définition d'une application centrale, respectant vos valeurs.
A moins que vous ne vouliez jouer sur les deux tableaux, mais est-ce crédible ?
Je l'ai déjà répété, manifestement pas suffisamment, je ne vois pas d'incompatibilité entre gestion humaine et application centrale (à ne pas confondre avec une gestion totalement centralisée !). Au risque de me répéter donc, pour résumer ce que j'ai déjà écrit par ailleurs(*), une application centrale permettrait de :
- soulager les directions d'une charge administrative
- bénéficier d'une procédure transparente
- optimiser globalement les inscriptions
et ce en gardant le caractère humain du processus, si l'on veille à ce que :
- ce soit les directions qui introduisent les demandes dans cette application (plutôt que chacune dans son application propre, son tableur, sa base de donnée), au terme donc d'une rencontre entre direction et parents (au cours de laquelle les parents pourraient montrer leur adhérence aux principes, à la pédagogie de l'école, par exemple en signant les divers Projet Pédagogiques, Projet d'Etablissement, Règlement d'Ordre Intérieur, ... : conditions éventuellement requises par la direction avant d'accepter, d'introduire une demande d'inscription)
- le rôle des parents ne soit que d'introduire leurs préférences parmi ces demandes (introduites par les écoles : pas de shopping donc !)
In fine, rien de très différent sur le fond par rapport à la situation actuelle (ou précédente), si ce n'est qu'il ne faudrait plus des semaines, des mois pour obtenir des listes des écoles (incomplètes), pour contacter les parents et obtenir leurs préférences (selon leur bon vouloir). On voit où ce manque d'une base de donnée centrale nous a conduit : six mois d'efforts sans résultat probant, avec des procédures moyenâgeuses (l'usage du téléphone au lieu du courrier papier ne fut recommandé que dans les dernières semaines !).
Je ne vois décidément pas en quoi le fait que les directions introduisent les demandes des parents sur un site Internet plutôt que dans leur feuille de calcul est en contradiction avec votre assertion, que je soutiens totalement : "L'acte d'inscription dans une école ne peut se résumer à un acte administratif car il revêt une dimension pédagogique et éducative essentielle pour assurer la réussite scolaire de l'élève."
La crainte ou le risque, et c'est là votre point, est que, une fois dans le "Système", les données introduites échappent à tout contrôle (des directions) et seront utilisées pour imposer des inscriptions sans aucune concertation et ne correspondant pas aux choix des parents. C'est bien pour cela qu'il est important d'être autour de la table lorsque les fonctions de cette application seront négociées, et nous ne vivons tout de même pas dans un état stalinien. Actuellement, les directions se concertent (sans les parents !), pour comparer leurs listes, détecter les doublons, ... Quelles demandes, quels enfants privilégient-ils, selon quels critères, où est la transparence ? Quel temps et énergie passent-ils pour compiler ces listes alors qu'ils pourraient les obtenir (ou pas !) en un clic de souris ?!
Vous voulez "remettre la responsabilité de l'inscription des enfants entre les mains des directeurs". Mais s'il est du rôle, du devoir des directions de rencontrer les parents, de les informer sur leur établissements, ont-ils pour autant à jouer les "placeurs d'enfants" ? S'ils ont du temps à perdre avec leurs collègues (ce dont je doute !) pour confronter les listes, ... je proposerais qu'ils le gagnent plutôt en construisant des synergies, partenariats, ... (loin de moi l'idée de leur dire ce qu'ils ont à faire ou pas, j'ai juste le sentiment qu'ils sont déjà débordés, et que tout ce qui peut les soulager serait le bienvenu).
Par ailleurs, de quel droit une école communique-t-elle ma demande à une autre, m'a-t-elle demandé mon avis, où est le respect de la vie privée ? Si j'ai fait une demande dans l'école d'un second choix, pour "assurer mes arrières" (l'enseignement étant obligatoire), ma demande auprès de l'école de mon premier choix ne sera-t-elle pas déforcée ? La direction n'aura-t-elle pas tendance à donner "ma" place à quelqu'un n'ayant délibérément fait qu'une seule demande, surtout si j'ai une place en ordre utile dans mon second choix ? Où le respect de mes préférences ? Ou alors il faudrait obliger chaque parent à faire un minimum de trois demandes !
"Les abus sont repérables et punissables par la loi depuis longtemps" ? On n'avait pas besoin de nouveaux décrets, sous le "décret mission", tout allait pour le mieux, les gestions étaient humaines ? A voir ! Au centre du Brabant Wallon, parmi les écoles alentour (et parmi celles que nous envisagions), sans les citer, on trouvait :
- Une école qui pratiquait le "premier venu, premier servi", et suite à la longueur (et nuit) des files, passa à une procédure téléphonique (autre loterie).
- Une école adepte de la loterie téléphonique, et qui se concerte avec la première : même jour, même heure.
- Une école qui vous demande, même en liste d'attente, de signer un document selon lequel vous vous engagez à ne faire d'autres demandes ailleurs.
- Une école au contact très humain avec la direction, mais qui a la réputation de sélectionner ses élèves.
(Et il est notoire qu'ailleurs (à Bruxelles, ...) certaines écoles étaient complètes des années à l'avance, uniquement accessibles aux plus "avertis", ...)
Il y a trois ans, avant le décret Aréna, ne vous en déplaise, notre quête d'une place pour notre aînée n'avais rien d'humain, et les abus restaient impunis.
Alors, comme vous l'avez déjà souligné à maintes reprises, pourquoi pénaliser toutes les écoles, parce qu'il y a des problèmes dans quelques unes ? La vie en société est (malheureusement ?) ainsi faite, le dérapage d'une minorité force de nouvelles contraintes (ou lois) applicables à tous.
- La plupart des gens sont honnêtes (du moins je me plais à le croire), mais du fait de quelques-uns nous sommes constamment soumis à des contrôles, fouilles, portiques, codes, ... en tout genre.
- Quelques politiciens "exagèrent" (tous partis confondus), et on planche sur la bonne gouvernance (et son lot de décrets ?)
- Quelques malveillants mélangent des graisses et toute la filaire alimentaire se voit imposer de lourdes et couteuses procédures de traçabilité (pourtant, dans la plupart des exploitations, tout se passaient pour le mieux)
- Quand les jupes de quelques filles remontent trop haut, ou les pantalons de quelques garçons descendent trop bas, fleurissent de nouvelles règles (trop ?) strictes dans les écoles
- ...
Tout ceci n'a rien à voir avec l'enseignement, avec les inscriptions ? Sans doute, mais la vie en démocratie impose des principes dans tous les domaines (l'enseignement n'y échappe donc pas), à moins de préférer l'anarchie.
Voilà pourquoi je suis convaincu qu'on ne fera pas l'économie d'un nouveau décret (et tous les partis veulent remplir cette fameuse page blanche), et qu'une nouvelle procédure d'inscription basée sur une application centrale sera nettement plus efficace, équitable, transparente et permettra d'obtenir "la meilleure satisfaction globale". Si bien pensée, il n'y a aucune contradiction avec une procédure humaine, avec les rencontres, la relation parent - école au centre. A nous d'y veiller !
Pour en revenir à la situation de septembre 2009, ne pourrait-on travailler à une nouvelle circulaire permettant les échanges et se protégeant des recours. C'est très serré d'un point de vue timing, mais voici :
- Clôturer les inscriptions au plus vite, vers le 5 septembre
- Les enfants étant inscrits, ayant une place, on vide / supprime les listes d'attente. Plus de liste officielle, plus de recours possible contre un enfant ayant obtenu une place alors qu'il est derrière dans la liste ... qui n'existe plus
- Dès la rentrée, on demande via les écoles (directions), que chaque parent remplisse un formulaire indiquant leur choix (sous enveloppe fermée, l'école n'a pas à savoir si l'enfant préfèrerait être ailleurs, et où, afin d'éviter de le stigmatiser). Les préférences ne pourraient s'exprimer que selon les demandes faites antérieurement, ou on pourrait ouvrir plus largement, à voir. On explique dans le courrier joint le but de cette consultation : procéder à des échanges éventuels, selon les possibilités effectives. Sans garantie donc (ce n'est pas une promesse), mais il faudrait également que les parents s'engagent à changer leur enfant s'ils obtiennent un meilleur choix (et pas uniquement pour le premier).
- On compile le tout centralement pour le 15, ou le 20
- Clôture définitive pour le 30.
C'était juste une idée en l'air. Et ZUT, ça ne marchera pas, car cela suppose une gestion centralisée ... !
Finalement, si vous cherchez une lecture soporifique pour vos vacances, j'ai terminé la seconde version de ma proposition, plus par goût du travail accompli qu'autre chose; je doute qu'une de ces méthodes soit jamais appliquée pour la rentrée prochaine. Vous le trouverez néanmoins à l'adresse suivante :
http://id-phy.orgfree.com/Opinion/InscrBulle.html
A l'heure où j'envoie ce courriel, les dés sont peut-être jetés au niveau de la désignation du prochain ministre, à (faire) suivre ...
Très cordialement,
Pierre Hardy.
PS: Les exemples utilisés en guise de pseudo-arguments sont volontairement décalés et hors contexte, histoire de sortir le nez du guidon.
(*) Dans un message précédent, j'avais déjà ouvert une parenthèse : Application centrale : un outil au service des parents et des directions, renforçant le libre choix des uns, l'autonomie des autres et la transparence pour tous.