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L'inscription ? ... une partie de Stratégo !
[Courriel envoyé le 3/12/2009]
Du point de vue des parents (dont je suis), le processus d'inscription relève d'une partie de Stratégo. Quel que soit le modèle, le processus et les modalités, les parents (avertis, motivés) cherchent inévitablement quelle est la meilleure stratégie à adopter pour que leur rejeton obtienne une place dans la meilleure école secondaire (à leur yeux), et d'ailleurs également au primaire (mais ceci, on ne le "perçoit" guère). Pourquoi tant de détermination de la part des parents ? Tout simplement parce que les enfants constituent le "bien" le plus précieux des parents, et le plus naturellement, ils veulent ce qu'il y a de mieux pour eux. Le "mieux" pouvant être une école de "bonne réputation", mais également l'école de son quartier, de sa ville par construction identitaire, celle ayant une "bonne" pédagogie, ... Bref, celle la plus en adéquation avec les ambitions que les parents ont le plus légitimement pour leurs enfants. Même si toutes les écoles atteignent objectivement le même niveau qualitatif, il restera (du moins j'espère !) des particularités, des spécificités propres à chaque établissement, et donc des préférences du point de vue des parents. Et le choix d'une école engage une famille pour des années, non pas 6 ans mais ... 42 années cumulées ! Non, je n'ai pas 7 enfants, seulement trois, et avec 6 ans d'écart entre l'ainée et le dernier, le choix d'une école impactera notre vie familiale durant 12 années : 12 x 2 parents, plus 6 x 3 enfants = 42 ! Voilà sans doute pourquoi ce débat est si passionné.
Quelle que soit les modalités, les parents tenteront toujours d'influer sur le résultat, tenteront d'augmenter leurs chances. Comment ?
A chaque modalité, à chaque critère sa stratégie gagnante. Passons les principaux en revue :
Premier venu, premier servi. Très simple, il suffit de venir suffisamment tôt, quitte à faire la file plusieurs jours (et nuits). Et les plus aisés pourront payer des jobistes se relayant, avec une caravane à disposition. Mais les plus modestes peuvent également "payer de leur personne" et tout aussi bien obtenir une place. J'aurais volontiers passé quelques nuits blanches pour cette cause, l'ayant fait pour de moins nobles raisons.
Proximité géographique stricte. Tel qu'en France, il "suffit" de déménager suffisamment près de l'école, où de s'y domicilier (fictivement ?). La demande faisant monter les prix des habitations, une telle stratégie est essentiellement réservée aux plus aisés. On peut contrecarrer cette tendance à la ghettoïsation en modulant cette distance, tel que je l'ai proposé : déduire la distance de l'école la plus proche pour réduire l'isolement géographique, considérer le lieu de travail (ou une autre adresse), et réduire encore cette distance si on rencontre d'autres critères, ... mais cela ouvre effectivement la voie à d'autres stratégies, plus complexes.
Priorité aux membres du personnel. Puisqu'on avait oublié de préciser "rémunéré", certaines directions ont octroyé cette priorité à certains parents travaillant occasionnellement de manière bénévole dans l'école (fait rapporté lors d'une des fameuses "réunion de crise"). Il faut donc "bien se mettre avec la direction", imparable ! Donner quelques cours (de math !) m'aurait bien tenté.
Priorité aux écoles adossées. Dès la maternité, il faut inscrire le nouveau né dans la bonne école maternelle, qui vous ouvrira une voie royale. Réservé au plus avertis, mais on peut tenter de se rattraper en cours de route : de bonnes relations avec la direction de l'école primaire convoitée seront votre meilleur atout.
Tirage au sort. Démonstration éclatante l'an dernier : il faut multiplier les demandes, et les tenir tant qu'on obtient pas son premier choix ! Il était pourtant facile de dégonfler cette bulle en demandant les préférences aux parents, et de procéder à une optimisation, mais encore eut-il fallu y penser ...
Procédure téléphonique. Ouverture des lignes à l'heure H, et selon l'ordre des appels (autre loterie). Etant logé à cette enseigne pour l'inscription de mon aînée, j'en maîtrise particulièrement la stratégie. En premier lieu, monter une armée de téléphonistes pour partir à l'assaut du central, ce qui devrait suffire. Mais par sécurité, j'avais également monter un "banc d'appels" à la maison : disposant de deux lignes téléphoniques (travail et privé), j'ai pris deux modems, trois ordinateurs dont deux appelaient via Skype, deux GSM et ai configuré et testé chaque élément séparément, et le tout combiné pendant des soirées entières (performance de chaque modem (vitesse de numérotation), test de divers logiciels d'appel automatique (temps de détection de tonalité occupée, délais minimum pour rappeler), test d'ancien GSM pour trouver ceux permettant un appel en un minimum de touches, oreillette, ...), test de charge (pendant une heure, histoire de s'assurer que ce matériel "tenait" (et j'ai du changer un logiciel après ce test !)), et finalement un entrainement (afin d'éviter de raccrocher par automatisme !)... pour au final arriver à générer un appel téléphonique toutes les deux secondes ! Résultat : ma fille fut inscrite dans les premières secondes de l'ouverture des lignes, et le temps de prévenir tout le monde (qui était occupé au téléphone), elle fut inscrite ... 6 fois durant le quart d'heure d'attribution des places ! Moralité : la probabilité d'obtenir une place est fonction de son réseau social, et accessoirement de ses connaissances en informatique et technologies de télécommunication.
Attribution des places selon la prépondérance aux critères. On considère les demandes selon l'ordre déterminé par les critères, attribue le meilleur choix en ordre utile et procède aux "désistements automatiques", ou selon la méthode de "pré-inscription différée". Ici il faut bien maitriser les critères de classement, bien se "profiler" pour y coller au mieux. Dans la liste des vos demandes, il importe d'y inclure celles où vos chances sont les plus grandes (où votre enfant satisfait au mieux aux critères), mais vous pouvez les placer en dernier choix : la procédure suivra l'ordre de vos choix, et finira par tomber sur l'école où votre chance est la plus grande, où votre enfant sera en ordre utile. Si de surcroît, au terme de cette première allocation, on tente d'attribuer des meilleurs choix par échanges (une telle optimisation reste effectivement possible), cela se fera au détriment du respect (plus strict) des critères, à l'encontre de la politique souhaitée et exprimée au travers de ces critères donc, mais au bénéfice d'une plus grande satisfaction des parents, un meilleur respect des choix exprimés, droit inscrit dans la Constitution. L'objectif politique peut également être d'attribuer le meilleur choix possible à chacun. Dans le cas des échanges, stratégiquement, il faut veiller à obtenir une place "échangeable" (même si ce n'est qu'un moindre choix), afin justement de l'échanger contre un meilleur choix, tout en risquant de finalement obtenir ce dernier choix. Si la méthode de "pré-inscription différée" ne retiendra que la meilleure place en ordre utile, une procédure par "désistements automatiques" pourra considérer toutes les demandes en ordre utile, et vos chances d'obtenir un meilleurs choix seront d'autant plus grande si vous disposez de plusieurs places en ordre utile ! (Pour plus de détails sur ces méthodes, exemples à l'appui, je vous réfère à ma proposition pour dégonfler la bulle (de 2009) : http://id-phy.orgfree.com/Opinion/InscrBulle.html, où l'ordre du tirage au sort est à remplacer par celui issu des critères).
Attribution des places selon la prépondérance aux choix des parents. Par cette méthode, les places sont attribuées en considérant d'abord les premiers choix, classés dans l'ordre des critères, et s'il reste de la place, les choix ultérieurs, et toujours selon le classement issu des critères. Ici, il importe de ne pas se tromper de "premier choix" ! Car les écoles demandées seront très vite complètes avec uniquement des premiers choix, et ceux n'obtenant leur premier choix "exprimé" devront se rabattre sur une école moins, peu demandée où des places restent disponibles. Afin de réduire cette césure entre ceux ayant obtenu leur premier choix et les autres, on peut procéder à une seconde étape d'optimisation globale : Intuitivement, il faut, pour chaque enfant ayant obtenu un choix par dépit, regarder dans les écoles de ses meilleurs choix, en commençant dans la liste de ces écoles par les derniers enfants en ordre utile, s'il ne s'en trouverait pas un dont un choix modérément moindre ne soit pas cette première école (par dépit du premier). Et afin de mesurer le gain d'un tel échange, il faut en outre attribuer plus de points à un premier choix (disons 10 points) qu'à un dixième choix (1 point). La stratégie consistera alors, pour renforcer son premier choix, à prendre comme choix suivants des écoles encore plus demandées que le premier choix et dans lequelles on a moins de chances (par rapport aux critères), avant de spécifier son réel second choix, surtout si ce second choix correspond à une école peu demandée. Effectivement, dans un tel système, si le second choix est disponible, le premier choix sera vite attribué à un mal-placé, tandis qu'échanger un premier choix pour un dixième choix ne fait pas progresser la solution, que du contraire. (Pour plus détails sur l'optimisation, voir http://id-phy.orgfree.com/Opinion/InscrModele.html et http://id-phy.orgfree.com/Opinion/15_les-intouchables-et-les-solidaires#optimisation)
On peut considérer que ces stratégies menées par les parents constituent une forme de mesure de leur motivation, mais est-ce une raison pour admettre la motivation parentale comme "paramètre" d'inscription ?
Conclusion. A moins de procéder à un double tirage au sort : tirer au sort le prochain enfant à inscrire, puis tirer au sort l'école où l'inscrire sans aucune considération géographique (et d'ouvrir des internats en conséquence !), les parents pourront toujours influer d'une manière ou d'une autre sur l'école qui leur serait attribuée. Selon le modèle, les stratégies sont plus ou moins complexes ou "accessibles" uniquement à certains, et sont de deux ordres :
- se "profiler" pour rentrer dans les critères : déménagement, adossement, ...
- spéculer sur les choix exprimés (nombre et ordre) en fonction du mode d'attribution des places.
Pour contrer ces stratagèmes, on peut agir sur les critères, les peaufiner (cfr formule de calcul des distances, ...). Concernant les méthodes d'attributions, on peut également envisager plusieurs mesures correctives :
- imposer un même nombre de choix à tous (entre 5 et 10), car un plus grand nombre de demandes augmente la probabilité d'en trouver une qui convienne ... plus ou moins. Et cela sape toute stratégie basée sur l'augmentation du nombre de demandes : une sorte d'équité.
- imposer parmi ces choix au moins 20% d'écoles réputées moins demandées (1/5, 2/10), avec la nécessité de fournir un classement des écoles entre plus et moins sollicitées, au risque de les stigmatiser davantage.
- complexifier les procédures d'allocation des places, rendant toute stratégie aléatoire où le risque de perdre devient plus important que la probabilité de gagner, par exemple, en :
- combinant les méthodes : "pré-inscriptions différées", suivie d'échanges et finalement d'une optimisation globale (selon la prépondérance aux choix)
- ne communiquer la méthode qu'après la clôture des inscriptions
- mettre en concurrence plusieurs méthodes, et retenir celle donnant le meilleur résultat
- imaginer une méthode ... (on peut toujours rêver !)
- ...
Mais revenons aux éléments clef de l'allocation des places, à savoir les critères et les choix exprimés des parents. Dans les modalités ci-dessus, ces deux paramètres sont considérés indépendamment : on utilise les critères (qui se doivent d'être intégrés dans un paramètre unique) pour départager, ordonner les demandes, et ensuite on utilise les préférences pour attribuer les places selon le classement ainsi défini. Et pour l'optimisation globale, dans laquelle on mesure la qualité d'une solution par pondération des inscriptions selon le choix auquel elle correspond (10 points au premier choix, ...), les critères n'entrent guère en ligne de compte (dans mon modèle mathématique, j'incluais bien le coefficient de proximité, synthèse des critères, mais tous les premiers choix sont en tête (crédit d'inscription entre 10 et 11), et ainsi de suite).
Ne pourrait-on imaginer de "marier" critères et préférences ? Soit en intégrant les préférences dans les critères, soit en intégrant les critères dans l'optimisation.
Pour intégrer les préférences dans les critères ou le classement, on pourrait, suivant l'idée d'une proximité, appliquer un ultime facteur et diviser la "distance" résultante par 10 pour un premier choix, par 9 pour un deuxième choix, ... Ou, si on veut un impact moins radical n'affectant que P pour cent de la distance D, la nouvelle distance réduire R pourrait se calculer comme :
(i) R = D * [1 + P * (1/C - 1)], où C vaut 10 pour un premier choix, 9 pour le deuxième, 8 ...
Ou toute autre formule.
Et pour intégrer les critères (le coefficient de proximité dans mon modèle, qui, pour rappel, traduit la distance en un facteur F compris entre 0 (éloigné) et 1 (proche)) dans le "crédit d'inscription" (poids attribué à une inscription), on peut calculer le nouveau crédit d'inscription I comme :
(ii) I = C/10 * P + F * (1 - P) , ou si vous préférez : I = P * C/10 + (1 - P)/(1 +D) en conservant les même notations, F étant défini comme 1/(1+D) .
Ou bien sûr toute autre formule.
En résumé.
Je préconiserais :
- d'imposer un même nombre de choix à tous : 10;
- d'imposer parmi ces choix au moins 2 d'écoles réputées moins demandées;
- une première attribution des places selon les "pré-inscriptions différées" suivi d'échanges (pour respecter autant que possible le choix des parents, inscrit dans la constitution), et sans considérer les préférences dans les critères (sans utiliser la formule (i) ). J'ai déjà programmé, testé et optimisé ces méthodes pour tenter de dégonfler la bulle, elle sont donc "abordables" (en complexité de programmation et en temps calcul de résolution, cfr http://id-phy.orgfree.com/Opinion/InscrBulle.html)
- et bien sûr de procéder à TOUTES les attributions centralement (cela va tellement de soi que j'oubliais de le mentionner !)
On dispose alors d'une solution de référence, dont on évalue la pertinence comme la somme des crédits d'inscription I, selon la formule (ii).
Ensuite, on simule quelques variantes :
- attribution selon les "désistements automatiques", suivi d'échanges
- ces mêmes méthodes en utilisant la formule (i)
- ces 4 variantes suivies d'un optimisation globale, selon la formule (ii) où P vaut 100%, et/ou une autre valeur, telle que celle pour l'évaluation de la solution, ...
On compare toutes les solutions, selon la même formule d'évaluation que pour la solution de référence, et on choisi la meilleure. Notez qu'on peut utiliser une valeur différente de P dans la formule (ii) pour l'optimisation et pour l'évaluation du résultat, mais le même P pour toutes les évaluations.
Puisque dans l'avant-projet, on donne une priorité aux choix à concurrence de 80%, et une priorité aux critères pour les 20% restants conférés à la CIRI, dans les formules ci-dessous on pourrait partir avec une valeur de P à 80%. Ainsi, on respecte quelque peu l'esprit, tout en appliquant la même procédure à tous (égalité de traitement).
Il faudrait donc veiller à laisser les détails de l'optimisation "ouverts" dans le décret, laissant une certaine latitude de recherche de solution optimale, une latitude d'implémentation. D'autre part, si quelques directions sont à ce point récalcitrantes, ne peut on tout de même donner l'opportunité à chaque établissement de "confier" leur 80% à une application centrale, qui procèdera selon les règles en vigueur, et les déchargera ainsi d'une charge administrative (avec l'idée qu'à terme, de plus en plus d'écoles y trouvent leur bénéfice, un peu comme le TaxOnWeb qui a de plus en plus d'adeptes). Point à prévoir également dans le décret.
Je sens que vous allez encore me dire que c'est trop compliqué, mais c'est pourtant si simple ...
Je viens vous l'expliquer en tablier blanc et avec un entonnoir sur la tête où et quand vous voulez !
Avec mes meilleures salutations,
Pierre Hardy.